Fraternité et Unité
Un jour de la fin juin, à l’aube d’un été qui s’annonçait torride, j’ai commencé une traversée des Balkans. J’ai décidé de suivre le parcours de ce que l’on a longtemps appelé l’autoroute de la Fraternité et de l’Unité. Un immense ruban d’asphalte ou de béton de 1 170 km de long, qui traversait l’ex-Yougoslavie du nord au sud, sillonnant quatre de ses six républiques : la Slovénie, la Croatie, la Serbie, et la Macédoine. Ces pays aujourd’hui indépendants faisaient tous partie de la République fédérative socialiste de Yougoslavie (1945-1992), qui englobait aussi la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro.
Fraternité et Unité : c’était la devise, l’un des principes directeurs affichés, officiels, de ce régime qui voulait faire vivre ensemble les Slovènes et les Croates catholiques, les Bosniaques musulmans, les Serbes et les Macédoniens orthodoxes. « La Yougoslavie a six Républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets et un seul parti », disait Josep Broz, Tito, le fondateur de la fédération socialiste, son leader jusqu’à sa mort en 1980. Il était l’ancien chef emblématique du mouvement des Partisans, les résistants qui boutèrent les forces de l’Axe hors de la région lors de la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui, la Yougoslavie a disparu, le pays s’est disloqué à la fin du siècle dernier. L’autoroute de la Fraternité et de l’Unité en tant que telle n’existe plus, elle s’est éteinte en même temps que la fédération socialiste. Mais il est encore possible de suivre son parcours, un réseau composé de plusieurs routes nationales connectées entre elles et qui permettent de passer d’un pays à l’autre. Parfois sans même s’arrêter car il n’y a à nouveau plus de frontières entre la Slovénie et la Croatie, membres de l’Union européenne et de l’espace Schengen.
Après l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, les chemins des anciennes républiques fédérées ont divergé, leurs destins aussi. Pourtant, « on ne peut pas échapper au passé », m’a dit Mitja Velikonja, professeur d’études culturelles à l’Université de Ljubljana. Il parle vrai. Les liens entre les pays désormais indépendants sont nombreux, ils revêtent beaucoup de formes différentes : architecture, urbanisme, musique, culture populaire, spécialités culinaires… Ce sont, aujourd’hui encore, autant de points communs entre les quatre pays que j’ai parcourus.
Je suis allé chercher ces traces du passé dans les villes, les villages et les campagnes que traverse l’ancienne route, des montagnes verdoyantes de Slovénie aux collines pelées de Macédoine. J’ai arpenté le tracé de l’autoroute à la recherche de survivances de la Yougoslavie, des héritages du précédent régime qui se dévoilent au fil des kilomètres, au grand jour ou plus discrets. Dans les discours des habitants aussi, qui convoquent volontiers leurs souvenirs ou, à l’inverse, préfèrent les taire.
Carte : Studio b.food